CHAPITRE XX
Luke regardait par la fenêtre en transpacier quand Kyp Durron, Wurth Skidder, Cilghal et les autres Jedi qu’il avait convoqués sur Coruscant entrèrent. La salle se situait au dernier étage du bâtiment du Ministère de la Justice.
Luke observait le trafic dans le ciel de Coruscant. Quand il se détourna, les vingt Chevaliers Jedi étaient là.
— La Nouvelle République a capturé deux transfuges ennemies, annonça-t-il. L’une est une prêtresse, l’autre sa mascotte ou sa compagne. Grâce aux informations qu’elles ont fournies, nous avons vaincu à Ord Mantell. Les transfuges seront amenées à Coruscant pour y être interrogées.
— Enfin, du progrès ! dit Kyp Durron. Quand aurons-nous l’occasion de les « interroger » ?
— C’est sûrement une ruse, déclara Cilghal avant que Luke réponde. Malgré les prétendues informations…
Ses mains palmées cachées par les manches de sa tunique de Jedi, elle regardait Luke et Kyp de ses yeux bulbeux.
Skywalker s’assit.
— La Nouvelle République est prudente. Si les transfuges continuent à nous fournir des renseignements fiables, on leur accordera plus de crédit.
— Elles seraient prêtes à en donner d’autres ? demanda Wurth Skidder.
— Sous certaines conditions. Elles veulent nous rencontrer.
Streen lâcha un rire ironique.
— Exactement ce que j’escomptais ! Ont-elles dit pourquoi ?
Luke fit quelques pas vers l’ancien mineur de Bespin.
— Elles affirment avoir des informations sur une maladie répandue par les agents yuuzhan vong, avant l’arrivée du premier vaisseau-monde sur Helska 4.
Un silence troublé suivit.
— J’espère qu’il s’agit de la maladie dont souffre Mara, ajouta Luke. Mais ce n’est pas sûr.
— Si c’est la même, dit Cilghal, cela signifie-t-il que les Yuuzhan Vong savent qu’elle est malade ?
— Gardons-nous de tirer des conclusions trop hâtives.
— Bien entendu, ils le savent ! intervint Wurth. Ils se servent d’elle pour nous avoir de la même façon.
— Ça n’est pas sûr, objecta Anakin. Les transfuges ont été scannées pour détecter ce type d’agent contaminant. Elles le seront de nouveau à leur arrivée.
Wurth regarda Luke, intrigué.
— Vous avez décidé de les rencontrer ?
— Oui. Une façon de montrer à la Nouvelle République que nous sommes capables de travailler avec elle.
— Nous comprenons votre sentiment, maître, affirma Ganner Rhysode. Mais quitte à prendre le risque, que ce soit pour Mara ! Pour ma part, je me fiche pas mal du Sénat et des militaires !
Des murmures parcoururent la salle.
— Je proposerai que les transfuges rencontrent seulement Mara et moi, précisa Luke.
Jacen se leva d’un bond.
— Tu penses que c’est un piège !
— Je l’ignore.
— Alors, laisse Streen, Kam Solusar ou moi les voir à ta place. Nous sommes tous prêts à risquer nos vies pour Mara.
— Votre neveu a raison, maître, dit Cilghal. S’il y a un risque, Mara et vous devriez être les derniers à vous y exposer.
— Que suggérez-vous ? Que nous assistions tous à l’entretien ?
— J’en suis ! dit Kyp. J’aimerais passer quelques instants seul avec une Yuuzhan Vong…
— Idem pour moi, renchérit Wurth.
Lowbacca grogna. MT2, le droïd miniaturisé flottant près de son épaule, traduisit :
— Tous pour un ! Ensemble, nous sommes plus forts que la somme de nos pouvoirs individuels.
— Je suis d’accord avec Lowbacca, dit Streen.
— Moi aussi, ajouta Tenel Ka.
Les mains dans le dos, Luke retourna vers la fenêtre. La solidarité des Jedi lui réchauffait le cœur. Il repensa aux premières années de l’Académie, quand ses étudiants s’étaient serrés les coudes pour vaincre un Jedi Obscur résolu à s’emparer de Yavin 4… Certains des Chevaliers présents y étaient : Cilghal, Streen et ses neveux. D’autres étaient morts depuis : Cray Mingla, Nichos Marr, Miko Reglia, Daeshara’cor…
Luke se retourna vers les siens.
— J’informerai les Renseignements de notre décision. Nous verrons les transfuges dès leur arrivée.
— Une pour l’humain, annonça le donneur, poussant du sabot une carte de sabacc.
Un Ithorien muni d’un membre artificiel posa sa carte en face de Yan, face visible.
— Six de sabres, déclara le donneur.
Yan calcula le total de sa main. Puis il fit signe qu’il passait son tour.
Du regard, le donneur bith aux doigts agiles demanda ses instructions au Sullustéen assis à côté de Yan. L’être à la mâchoire carrée et aux oreilles décollées sourit quand il vit la carte retournée par l'Ithorien : l’Endurance.
Le Bothan et le Chadra-Fan abandonnèrent la partie. Restait Yan, contre le Sullustéen, l’Ithorien et un Rodien. Ce dernier gardait jalousement les deux cartes reçues au début. Il n’en avait posé aucune sur la table.
Yan s’adossa à son siège histoire de montrer subrepticement à Droma ses cartes cachées : un as de pièce (valeur quinze points) et le un de bâtons, récemment transformé par le randomiseur de la table de sabacc. Avec son six de sabres, il totalisait vingt-deux points – un de moins que le sabacc gagnant… Le Sullustéen ne détenait pas plus de vingt points malgré son Endurance. Il en était sûr. Les deux cartes posées par l’Ithorien valaient douze. A la manière dont il pariait, Yan doutait qu’il ait plus de dix-huit ou dix-neuf points. Quant au Rodien, il en avait probablement plus de vingt mais moins de vingt-deux. Lorsqu’il avait reçu un sabacc gagnant un peu plus tôt, il avait réagi avec enthousiasme. Et rien, dans son attitude actuelle, ne suggérait une autre main gagnante.
Personne n’avait figé la valeur des cartes. Toutes étaient dans le champ d’interférence, au milieu de la table.
Les joueurs refusèrent une donne supplémentaire, et les paris finaux furent enregistrés. A moins que le randomiseur frappe de nouveau, Yan était sûr de son fait.
Le Sullustéen voulut voir, et les joueurs abattirent leur main.
L’instinct de Yan ne l’avait pas trompé. Il remportait la cagnotte pour la troisième fois… Le banquier la poussa vers lui.
La partie se déroulait dans le seul salon de jeu du Reine de l’Empire. Une demi-douzaine de Twi’leks aux tentacules crâniens tatoués passaient entre les tables, offrant des boissons gratuites, des drogues transdermiques et plusieurs marques de cigarettes.
Droma avait critiqué Yan. Ne risquait-il pas presque tous les crédits qu’il lui restait ? Yan s’était justifié ; ça lui éviterait de se morfondre dans sa cabine. Mais même la victoire n’avait pas rendu le Ryn plus tolérant.
— Une entreprise manquant de profondeur, commenta Droma pendant que Yan ramassait ses gains. Hélas, les humains y sont encore plus enclins que les autres.
Yan ricana.
— Moquez-vous de moi si ça vous chante… Mais je joue depuis mes quatorze ans. Le sabacc m’a rapporté un vaisseau, et une planète !
— C’est quand même idiot, insista Droma.
Yan lui lança un sourire dédaigneux.
— Je préfère une petite dose de chance à une soute pleine de sagesse.
Le Bith mit un nouveau jeu dans le sabot et montra les paumes de ses mains. Une nouvelle partie commença.
Le but était d’avoir un total négatif ou positif de vingt-trois. Le casino du Reine utilisait le jeu habituel de soixante-six cartes, un randomiseur et un champ d’interférence, mais il était assez exigeant : les joueurs devaient s’acquitter d’un prix d’entrée, et il retenait vingt pour cent des gains.
Le casino du Reine avait aussi des règles spécifiques. Un vingt-trois positif battait un vingt-trois négatif, et un sabacc à deux cartes battait un sabacc à trois. Après la donne originelle de deux cartes, aucun joueur n’avait le droit d’en demander plus de trois supplémentaires.
A la partie suivante, le quatorze de Yan se transforma en vingt après l’intervention du randomiseur, et en treize après un deuxième tour. Ensuite, il tira le cinq de pièces, et gagna grâce à un bluff habile.
La partie d’après se déroula de façon identique. Yan gagna avec un quinze, à peine un point de plus que le Sullustéen. En tout, il empochait près de huit mille crédits.
Yan se prépara à une autre partie. Soudain, Droma cria :
— Banque !
Yan faillit s’en décrocher les mâchoires. Le surveillant parla avec le caissier… qui annonça que Yan avait besoin de 7800 crédits pour jouer contre le casino.
Yan se tourna vers Droma, furieux.
— Vous êtes fou ? Si je perds, je n’aurai plus un sou !
Droma haussa les épaules.
— Le randomiseur est le seul véritable adversaire dans ce jeu. Il représente le destin. Jouez contre lui si vous voulez m’impressionner.
— Vous impressionner ? bredouilla Yan. Espèce de… !
— Vous avez dit « banque ». Vous jouez, ou non ? coupa le surveillant d’une voix menaçante.
Les autres joueurs regardèrent Yan. Une foule s’attroupa autour de la table. Refuser serait de la lâcheté, et une insulte aux perdants.
Yan repoussa ses gains au centre de la table.
— Banque…
Les passagers approchèrent pour mieux voir le Bith distribuer. Sauf dans les tournois, il était rare de parier autant de crédits sur une seule partie.
Yan regarda sa main : vingt-deux.
Le randomiseur frappa, réduisant la valeur des cartes à treize.
Yan jeta le commandant de flasques, de valeur douze, dans le champ d’interférence. Le randomiseur transforma son un de pièces en idiot, valant zéro.
Il demanda une carte et tira le Mauvais – quinze points négatifs. Total : trois points négatifs.
La foule murmura, déçue.
La tension monta. Yan regarda le sabot, le randomiseur et le champ d’interférence. Puis il annonça qu’il passait son tour. Les spectateurs soupirèrent. Ce type était un joueur inspiré… ou un perdant-né.
Le Bith retourna les deux cartes de la Banque : un de bâtons et commandant de pièces. Treize points. Les règles de la maison exigeaient que le donneur tire une troisième carte s’il avait douze ou treize points.
La foule retint son souffle. Rien n’était joué. Yan avait encore une chance. De la sueur perla sur son front.
Quand le croupier souleva la carte, Yan aperçut son image dans le champ d’interférence.
Le neuf de sabres.
Vingt-deux pour le donneur.
Le Corellien sentit ses espoirs s’envoler.
Au même instant, le randomiseur frappa pour la troisième fois, ce qui ne s’était jamais vu. Le Mauvais de Yan devint la maîtresse de bâtons, amenant son total à vingt-cinq. Puis l’idiot se transforma en reine de l’air et des ténèbres, valant deux points négatifs.
Vingt-trois. Un sabacc gagnant.
Yan se redressa et montra sa main. Des applaudissements éclatèrent. Il avait gagné, une fois de plus !
Le croupier fit glisser ses gains vers Yan et ferma la table. Les joueurs partirent, déçus. La foule se dispersa. Une Twi’lek tentait désespérément d’attirer l’attention de Yan qui poussa sa pile de crédits vers Droma.
— Tenez, grogna-t-il, achetez-vous des vêtements un peu moins voyants !
Souriant, Droma ramassa les crédits dans sa casquette.
— Sur les ponts inférieurs, voilà qui serait une manne providentielle…
Yan le foudroya du regard.
— Vous saviez que je gagnerais !
— J’ai eu une intuition…
— Vous êtes joueur, vous aussi.
— Non. Mais je connais les cartes. Les Ryn les ont inventées. Les figures, en tout cas.
— Voilà autre chose !
— Les cartes représentent chacune un principe spirituel. Elles sont conçues comme des dispositifs de formation pour l’esprit. Elles n’ont jamais été prévues pour les jeux de hasard.
Il tendit la main et prit un jeu. L’étalant d’une main, il enleva les cartes numérotées de un à onze et posa le reste sur la table.
— Les cartes de rang, le commandant, la maîtresse, le maître et l’as, représentent des individus ayant différentes caractéristiques. Les bâtons symbolisent les entreprises spirituelles, les flasques les états émotionnels, les sabres les quêtes intellectuelles et les pièces le bien-être matériel. Regardez-les et expliquez-moi pourquoi un jeu de hasard utiliserait des noms comme Equilibre, Endurance, Modération, et Mort.
Droma posa le maître de bâtons devant Yan.
— Vous : un homme aux cheveux noirs, doté d’une force et d’une intuition exceptionnelles, mais souvent impétueux et égocentrique. Malgré son âge, il fonce hardiment dans la mêlée au mépris des risques, et se heurte parfois aux contingences. Pourtant, il recherche avant tout la connaissance.
— Religion à la manque…, grommela Yan à voix basse.
— Vous croyez ? Voyons ce que les cartes nous révéleront.
Il ramassa les cartes, les battit et les coupa avec habileté, puis disposa le jeu sur la table. Il retourna la carte du dessus et la posa sous le maître de bâtons.
— Le maître de flasques, annonça Droma. Un protecteur ou un ami intime. Aimant, dévoué et loyal. (Il prit une autre carte qu’il posa sur le maître de flasques et fronça les sourcils.) Il rencontre le Mauvais. Une dépendance à la drogue, dans certains cas, mais la plupart du temps, il s’agit plutôt d’un ennemi puissant.
Le Corellien déglutit.
Le Ryn posa la troisième carte sur celle de Yan.
La Mort.
— Vous avez perdu un ami ? Un protecteur ?
Yan resta impassible.
— Continuez votre jeu de devinettes…
Droma plaça une carte à gauche du maître de bâtons.
— L’idiot. Le début d’un voyage ou d’une quête, souvent en terrain inconnu. (Il posa la carte suivante sur le maître.) Modération inversée. Un désir de vengeance.
Yan ricana.
— Vous êtes doué ! Vous observez les gens et vous cernez leur personnalité et leurs problèmes avant de leur renvoyer le tout à la figure ! Comme votre petit jeu de deviner ce que va dire quelqu’un.
— Je tire seulement les cartes, rappela Droma.
— Vous les avez arrangées à votre idée en les battant.
Le Ryn montra le jeu.
— Tirez rapidement quatre cartes et alignez-les avec le maître de bâtons.
Yan hésita, puis obéit. Avant que Droma puisse parler, il montra la première carte.
— Ne me dites pas ce qu’elle signifie, seulement ce qu’elle symbolise à cet endroit.
— Quelqu’un risque d’être affecté par vos actions.
— Le commandant de sabres, dit-il. Une version plus jeune du maître ? Obstiné, intelligent…
— Courageux, ajouta Droma. Et bon combattant.
Anakin ?
Yan montra la deuxième carte.
— Les conséquences inattendues d’un danger caché.
— La reine de l’air et des ténèbres, dit Yan. Quelqu’un qui dissimule un secret, ou une tromperie.
Droma hocha la tête.
— Une chose cachée. La prochaine carte indique la meilleure façon de procéder.
— L’Equilibre, dit Yan. Etre capable de rester debout quand les choses vont mal et que le sol tremble.
— L’ajustement aux aléas de la vie, ajouta Droma. La sérénité en face de l’adversité. Et le pouvoir spirituel.
Yan posa un doigt sur la dernière carte.
— L’avenir ?
— Un des avenirs possibles. Dans ce cas, ce que l’idiot trouvera.
Yan regarda la carte.
— L’Etoile. Inversée. Pas un franc succès, si je comprends bien.
Droma sourit.
— Félicitations, Roaky Laamu ! Le destin vous a autorisé à jeter un coup d’œil sur la façon dont il fonctionne !